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en laque du Japon, et, présentant sa petite main fermée et cachant l’objet qu’elle tenait : — « L’autre soir dit-elle, j’ai cassé votre montre. La voici raccommodée. » Elle lui remit la montre, et le regardait d’un air à la fois tendre et espiègle, en se mordant la lèvre inférieure, comme pour s’empêcher de rire. Vive Dieu ! que ses dents étaient belles ! comme elles brillaient blanches sur le rose ardent de ses lèvres ! (Un homme a l’air bien sot quand il reçoit froidement les cajoleries d’une jolie femme.)

Saint-Clair la remercia, prit la montre et allait la mettre dans sa poche : — « Regardez donc, » continua-t-elle, « ouvrez-la, et voyez si elle est bien raccommodée. Vous qui êtes si savant, vous qui avez été à l’École Polytechnique, vous devez voir cela. » — « Oh ! je m’y connais fort peu, » dit Saint-Clair ; et il ouvrit la boîte de la montre d’un air distrait. Quelle fut sa surprise ! le portrait en miniature de madame de Coursy était peint sur le fond de la boîte. Le moyen de bouder encore ? Son front s’éclaircit ; il ne pensa plus à Massigny ; il se souvint seulement qu’il était auprès d’une femme charmante, et que cette femme l’adorait.

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L’alouette, cette messagère de l’aurore, commençait à chanter, et de longues bandes de lumière pâle sillonnaient les nuages à l’orient. C’est alors que Roméo dit adieu à Juliette ; c’est l’heure classique où tous les amants doivent se séparer.

Saint-Clair était debout devant une cheminée, la clef du parc à la main, les yeux attentivement fixés sur le vase étrusque dont nous avons déjà parlé. Il lui gardait encore rancune au fond de son âme. Cependant il était en belle humeur, et l’idée bien simple que Thémines avait pu mentir commençait à se présenter à son esprit. Pendant que la comtesse, qui voulait le reconduire jusqu’à la porte du parc, s’enveloppait la tête d’un châle, il frappait dou-