Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différents, comme de l’or et du platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, est si grosse, qu’on ne pourrait mettre un gant par-dessus.

— Oh ! madame Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle sera toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt, c’est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un air de satisfaction l’anneau tout uni qu’il portait à la main, celle-là, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée un jour de mardi gras. Ah ! comme je m’en suis donné quand j’étais à Paris il y a deux ans ! C’est là qu’on s’amuse !… Et il soupira de regret.

Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la future ; nous montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château éloigné d’Ille d’environ une lieue et demie. Je fus présenté et accueilli comme l’ami de la famille. Je ne parlerai pas du dîner ni de la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je pris peu de part. M. Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à l’oreille tous les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux, et, chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec modestie, mais lui répondait sans embarras.

Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans ; sa taille souple et délicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé. Elle était non-seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel parfait de toutes ses réponses ; et son air de bonté, qui pourtant n’était pas exempt d’une légère teinte de malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette comparaison que je fis en moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté qu’il fallait bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son expression de tigresse ; car l’énergie, même dans les mauvaises passions, excite toujours