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grand éclat de rire. — Ah ! les lillipendi qui me prennent pour une erani[1] ! C’était Carmen, mais si bien déguisée, que je ne l’aurais pas reconnue parlant une autre langue. Elle sauta en bas de sa mule, et causa quelque temps à voix basse avec le Dancaïre et Garcia, puis elle me dit : Canari, nous nous reverrons avant que tu sois pendu. Je vais à Gibraltar pour les affaires d’Égypte. Vous entendrez bientôt parler de moi. — Nous nous séparâmes après qu’elle nous eut indiqué un lieu où nous pourrions trouver un abri pour quelques jours. Cette fille était la providence de notre troupe. Nous reçûmes bientôt quelque argent qu’elle nous envoya, et un avis qui valait mieux pour nous : c’était que tel jour partiraient deux milords anglais, allant de Gibraltar à Grenade par tel chemin. À bon entendeur, salut. Ils avaient de belles et bonnes guinées. Garcia voulait les tuer, mais le Dancaïre et moi nous nous y opposâmes. Nous ne leur prîmes que l’argent et les montres, outre les chemises, dont nous avions grand besoin.

Monsieur, on devient coquin sans y penser. Une jolie fille vous fait perdre la tête, on se bat pour elle, un malheur arrive, il faut vivre à la montagne, et de con-

  1. Les imbéciles qui me prennent pour une femme comme il faut.