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il n’est pas toujours noir, il ne t’a pas tordu le cou. Je suis habillée de laine, mais je ne suis pas mouton[1]. Va mettre un cierge devant ta majari[2] ; elle l’a bien gagné. Allons, adieu encore une fois. Ne pense plus à Carmencita, ou elle te ferait épouser une veuve à jambes de bois[3].

En parlant ainsi, elle défaisait la barre qui fermait la porte, et une fois dans la rue elle s’enveloppa dans sa mantille et me tourna les talons.

Elle disait vrai. J’aurais été sage de ne plus penser à elle ; mais, depuis cette journée dans la rue du Candilejo, je ne pouvais plus songer à autre chose. Je me promenais tout le jour, espérant la rencontrer. J’en demandais des nouvelles à la vieille et au marchand de friture. L’un et l’autre répondaient qu’elle était partie pour Laloro[4], c’est ainsi qu’ils appellent le Portugal. Probablement c’était d’après les instructions de Carmen qu’ils parlaient de la sorte, mais je ne tardai pas à savoir qu’ils mentaient. Quelques semaines après ma journée de la rue du Candilejo, je fus de faction à une des

  1. Me dicas vriarda de jorpoy, bus ne sino braco. — Proverbe bohémien.
  2. La sainte. — la sainte Vierge.
  3. La potence, qui est veuve du dernier pendu.
  4. La (terre) rouge