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flexions. Nous nous arrêtâmes, dans cette rue-là, devant une vieille maison. Elle entra dans l’allée, et frappa au rez-de-chaussée. Une bohémienne, vraie servante de Satan, vint nous ouvrir. Carmen lui dit quelques mots en romani. La vieille grogna d’abord. Pour l’apaiser, Carmen lui donna deux oranges et une poignée de bonbons, et lui permit de goûter au vin. Puis elle lui mit sa mante sur le dos et la conduisit à la porte, qu’elle ferma avec le barre de bois. Dès que nous fûmes seuls, elle se mit à danser et à rire comme une folle, en chantant : — Tu es mon rom, je suis ta romi[1]. — Moi, j’étais au milieu de la chambre, chargé de toutes ses emplettes,

    on s’est battu en duel, cette nuit, dans telle rue. Un des combattants est mort. — Avez-vous découvert le meurtrier ? — Oui, sire. — Pourquoi n’est-il pas déjà puni ? — Sire, j’attends vos ordres. — Exécutez la loi. » Or le roi venait de publier un décret portant que tout duelliste serait décapité, et que sa tête demeurerait exposée sur le lieu du combat. Le Vingt-quatre se tira d’affaire en homme d’esprit. Il fit scier la tête d’une statue du roi et l’exposa dans une niche au milieu de la rue, théâtre du meurtre. Le roi et tous les Sévillans le trouvèrent fort bon. La rue prit son nom de la lampe de la vieille, seul témoin de l’aventure. — Voilà la tradition populaire. Zuñiga raconte l’histoire un peu différemment. (Voir Anales de Sevilla, t. II, p. 136). Quoi qu’il en soit, il existe encore à Séville une rue du Candelijo, et dans cette rue un buste de pierre qu’on dit être le portrait de don Pèdre. Malheureusement, ce buste est moderne. L’ancien était fort usé au xviie siècle, et la municipalité d’alors le fit remplacer par celui qu’on voit aujourd’hui.

  1. Rom, mari ; romi, femme.