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Un jour, le geôlier entre, et me donne un pain d’Alcalà[1]. — Tenez, dit-il, voilà ce que votre cousine vous envoie. Je pris le pain, fort étonné, car je n’avais pas de cousine à Séville. C’est peut-être une erreur, pensais-je en regardant le pain ; mais il était si appétissant, il sentait si bon, que, sans m’inquiéter de savoir d’où il venait et à qui il était destiné, je résolus de le manger. En voulant le couper, mon couteau rencontra quelque chose de dur. Je regarde, et je trouve une petite lime anglaise qu’on avait glissée dans la pâte avant que le pain fût cuit. Il y avait encore dans le pain une pièce d’or de deux piastres. Plus de doute alors, c’était un cadeau de Carmen. Pour les gens de sa race, la liberté est tout, et ils mettraient le feu à une ville pour s’épargner un jour de prison. D’ailleurs, la commère était fine, et avec ce pain-là on se moquait des geôliers. En une heure, le plus gros barreau était scié avec la petite lime ; et avec la pièce de deux piastres, chez le premier fripier, je changeais ma capote d’uniforme pour un habit bourgeois. Vous pensez bien qu’un homme qui avait déniché maintes fois des aiglons dans nos ro-

  1. Alcalà de los Panaderos, bourg à deux lieues de Séville, où l’on fait des petits pains délicieux. On prétend que c’est à l’eau d’Alcalà qu’ils doivent leur qualité et l’on en apporte tous les jours une grande quantité à Séville.