Page:Mérimée - Carmen.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— On le connaît dans le pays sous le nom de José Navarro ; mais il a encore un autre nom basque, que ni vous ni moi ne prononcerons jamais. Tenez, c’est un homme à voir, et vous qui aimez à connaître les singularités du pays, vous ne devez pas négliger d’apprendre comment en Espagne les coquins sortent de ce monde. Il est en chapelle, et le père Martinez vous y conduira.

Mon Dominicain insista tellement pour que je visse les apprêts du « petit pendement pien choli, » que je ne pus m’en défendre. J’allai voir le prisonnier, muni d’un paquet de cigares qui, je l’espérais, devaient lui faire excuser mon indiscrétion.

On m’introduisit auprès de don José, au moment où il prenait son repas. Il me fit un signe de tête assez froid, et me remercia poliment du cadeau que je lui apportais. Après avoir compté les cigares du paquet que j’avais mis entre ses mains, il en choisit un certain nombre, et me rendit le reste, observant qu’il n’avait pas besoin d’en prendre davantage.

Je lui demandai si, avec un peu d’argent, ou par le crédit de mes amis, je pourrais obtenir quelque adoucissement à son sort. D’abord il haussa les épaules en souriant avec tristesse ; bientôt, se ravisant, il me pria de faire dire une messe pour le salut de son âme.