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« Khlestakof, mêlant du français à son russe. — Monotone, c’est le mot. Voyez-vous, habitué à vivre dans le grand monde… et se trouver tout d’un coup sur une grande route… de sales auberges… de la grossièreté… de mauvaises façons… Si l’on ne faisait pas de temps en temps des rencontres comme celle-ci… Oh ! cela dédommage de tout. (Il prend des attitudes).

« Anna. — En effet, comme ce doit être désagréable pour un homme comme vous !

« Khlestakof. — Pardon, madame ; rien de plus agréable que ce moment-ci.

« Anna. — Oh ! vous me faites trop d’honneur. Je ne le mérite pas.

« Khlestakof. — Comment donc, madame, vous ne le méritez pas ! Vous le méritez.

« Anna. — Je vis dans la solitude de la campagne…

« Khlestakof. — Oui ; mais la campagne a ses collines, ses ruisseaux… C’est vrai qu’après tout, cela ne vaut pas Pétersbourg ! Ah Pétersbourg ! C’est là qu’on vit ! Vous croyez peut-être que je suis tout bonnement expéditionnaire dans un bureau. Non, le chef de division est avec moi dans les meilleurs termes. Il me frappe sur l’épaule, et me dit : Allons, mon brave, dînes-tu avec moi ? Je vais au bureau pour deux minutes seulement, pour dire : — Ça comme ça, et ça comme ça. Il y a un employé pour les écritures, un pilier de bureau ; avec sa plume, il écrit, tr, tr, tr… On voudrait bien me faire assesseur de collège, oui ; mais à quoi bon ? Et le garçon de bureau est là sur l’escalier qui court après moi : Ah ! Ivan Alexandrovitch, dit-il, permettez que je donne un coup de brosse à vos bottes. — Eh bien ! messieurs, vous êtes debout ? Asseyez-vous donc.

« Le gouverneur. — Nous sommes à notre place ; nous connaissons notre rang.

« Le directeur de l’hospice. — Nous devons rester debout.