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en Russie, où le grade (tchin) marque à chacun sa place dans la société. Je reprends les instructions que le gouverneur donne à ses agents.

« Vous allez planter des jalons dans l’enclos près du bottier comme si on allait y faire des constructions. Des constructions, voyez-vous, il n’y a rien qui témoigne plus de l’activité de l’administration. — Ah ! mon Dieu, moi qui oublie qu’on a jeté dans l’enclos plus de quarante tombereaux d’ordures ! La sale ville ! — Et si l’inspecteur vous demandait : Est-on content ici ? vous répondriez : Oui, monsieur, tout le monde est content. — À ceux qui auraient du mécontentement, je me charge de leur en donner, quand il sera parti… Ah ! Seigneur, aie pitié de nous ! Si tu fais que je me tire de ses griffes, je te donnerai un cierge comme personne ne t’en a encore donné. Je ferai payer trois pouds de cire à chacun de ces coquins de marchands ! »

Quel est ce voyageur qui trouble ainsi la douce quiétude de ces dignes fonctionnaires ? L’auteur nous l’apprend au second acte, dans un assez long monologue d’un valet, moyen un peu maladroit et qui ne dénote pas une grande expérience de la scène. Le prétendu inspecteur général est un petit employé en congé, nommé Khlestakof, assez mauvais sujet, qui, ayant perdu son argent au jeu, ne sait comment sortir de l’auberge où il est descendu. Déjà l’hôte ne veut plus lui faire crédit ; il lui refuse même à manger, et le menace du gouverneur. Khlestakof a essayé de dîner en