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« — Moi ! je ne suis pas en colère. Je me soucie de cela comme d’un œuf frais. Il n’y a pas là de quoi se fâcher.

« — Allons. Eh bien ! je te les donnerai pour quinze roubles en assignations ; seulement, vois-tu, petit père, s’il s’agit, en fait de fournitures, de farine de seigle, ou de sarrasin, ou de gruau, ou bien de salaisons, tu ne m’oublieras pas ?… »

J’aurais dû peut-être parler d’abord de l’Inspecteur général, comédie antérieure en date aux Âmes mortes ; mais j’ai réservé ce drame pour une analyse plus détaillée, parce qu’il me semble offrir comme un résumé complet des qualités et des défauts que j’ai essayé de signaler déjà dans les autres ouvrages de M. Gogol. De même que les Âmes mortes, l’Inspecteur général est une satire amère et violente déguisée sous une gaieté un peu superficielle, ou plutôt sous une rude bouffonnerie qui rappelle à certains égards la manière d’Aristophane. L’auteur, pour ne pas vivre dans une république, ne montre pas moins d’audace et de liberté à fronder les vices de l’administration de son pays. Il la peint vénale, corrompue, tyrannique. En France, où il lui eût été sans doute impossible de trouver les types des personnages qu’il a mis en scène, la censure eût assurément défendu la représentation de cette pièce. En Russie, c’est peut-être à cause de l’exactitude même des por-