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contre la société, un conte sentimental et une étude médico-légale sur les phénomènes que présente une tête humaine qui se détraque. Je crois l’étude bien faite et fort graphiquement dépeinte, comme dirait M. Diafoirus, mais je n’aime pas le genre : la folie est un de ces malheurs qui touchent, mais qui dégoûtent. Sans doute, en introduisant un fou dans son roman, un auteur est sûr de produire de l’effet. Il fait vibrer une corde toujours sensible ; mais le moyen est vulgaire, et le talent de M. Gogol n’est pas de ceux qui ont besoin de recourir à ces trivialités. Il faut laisser les fous aux commençants, avec les chiens, personnages d’un effet aussi irrésistible : le beau mérite d’arracher des larmes à votre lecteur si vous cassez la patte à un caniche ! Homère, à mon avis, n’est excusable de nous avoir fait pleurer à la reconnaissance du chien Argus et d’Ulysse que parce qu’il fut le premier, je pense, à découvrir les ressources qu’offre la race canine à un auteur à bout d’expédients.

J’ai hâte d’arriver à un petit chef-d’œuvre, le Ménage d’autrefois. En quelques pages, M. Gogol nous raconte la vie de deux bons vieillards, mari et femme, vivant à la campagne, gens dans la tête de qui n’entre pas un grain de malice, trompés et adorés de leurs paysans, égoïstes naïfs parce qu’ils croient tout le monde heureux