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dénotent une certaine préférence pour le laid et le triste. Sans doute ces deux fâcheux éléments n’existent que trop dans la nature, et c’est précisément parce qu’ils se rencontrent si souvent qu’il ne faudrait pas s’appliquer à leur recherche avec une insatiable curiosité. On se ferait une idée terrible de la Russie, de la sainte Russie, comme disent ses enfants, si on ne la jugeait que par les tableaux qu’en a tracés M. Gogol. Il ne nous y montre guère que des imbéciles, quand il ne nous offre pas des coquins à pendre. C’est, on le sait, le défaut des satiriques de ne voir partout que le gibier qu’ils chassent, et il est prudent de ne pas les croire sur parole. Aristophane a beau employer son admirable génie à noircir ses compatriotes, il ne nous empêchera pas d’aimer l’Athènes de Périclès.

C’est en province que M. Gogol choisit d’ordinaire ses personnages, imitant en cela M. de Balzac, dont les ouvrages ont pu n’être pas sans influence sur son talent, La facilité moderne des communications en Europe a donné aux classes élevées de tous les pays, et même aux habitants des grandes capitales, des manières qui se ressemblent, manières de convention, adoptées par l’usage, comme le frac et le chapeau rond. Cherchez aujourd’hui dans la classe moyenne et loin des grandes