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ridicule, elle semble, par contre, bien émoussée contre le crime, et c’est au crime qu’il s’attache trop souvent. Son comique est toujours un peu près de la farce, et sa gaieté n’est guère communicative. Si parfois il fait rire son lecteur, il lui laisse cependant au fond de l’âme un sentiment d’amertume et d’indignation : c’est que ses satires n’ont pas vengé la société, elles n’ont fait que la mettre en colère.

Comme peintre de mœurs, M. Gogol excelle dans les scènes familières. Il tient de Téniers et de Callot. On croit avoir vu ses personnages et avoir vécu avec eux, car il nous fait connaître leurs manies, leurs tics, leurs moindres gestes. Celui-ci grasseye, celui-là blèse, cet autre siffle parce qu’il a perdu une incisive. Malheureusement, tout absorbé par cette étude minutieuse des détails, M. Gogol néglige un peu trop de les rattacher à une action suivie. À vrai dire, il n’y a pas de plan dans ses ouvrages, et, chose étrange dans un écrivain qui se pique surtout de naturel, il ne se préoccupe nullement de la vraisemblance dans la composition générale. Les scènes les plus finement traitées s’enchaînent mal ; elles commencent, elles se terminent brusquement ; maintes fois l’extrême insouciance de l’auteur pour la composition détruit comme à plaisir l’illusion