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Morbleu ! on donnerait son âme pour un regard de ces belles aux sourcils noirs. Elles n’ont qu’un petit défaut, un seul… — Et quel défaut ? dis-moi, soldat.

Il tordit sa longue moustache, et dit : Pataud, parlant par respect, tu es peut-être un luron ; mais tu es un blanc-bec, et tu n’as pas vu ce que j’ai vu.

Allons, écoute. Notre régiment était sur le Dnieper. Mon hôtesse était jolie, bon enfant ; son mari était mort. Note bien cela.

Nous devînmes bons amis. Toujours d’accord : c’était charmant. Quand je la battais, la Marousenka n’eût pas dit un mot plus haut que l’autre.

Quand je me grisais, elle me couchait et me faisait la soupe à l’oignon. Je n’avais qu’à faire un signe : Hé ! la commère !… La commère ne disait jamais non.

Enfin, pas moyen de se fâcher. Fallait vivre heureux, sans se quereller. Eh bien ! non ; je m’avisai d’être jaloux. Que veux-tu ? C’est le diable sans doute qui me poussait.

Pourquoi donc, me dis-je, se lève-t-elle au chant du coq ? Qui la vient chercher ? La Marousenka me jouerait-elle quelque tour ? Ou bien est-ce le diable qui la vient emporter ?

Je me mets à l’espionner. Un soir, je me couche et