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— Je ne puis rien refuser à un monsieur si honnête, qui me donne de si excellents cigares, s’écria don José d’un air de bonne humeur ; et, s’étant fait donner la mandoline, il chanta en s’accompagnant. Sa voix était rude, mais pourtant agréable, l’air mélancolique et bizarre ; quant aux paroles, je n’en compris pas un mot.

— Si je ne me trompe, lui dis-je, ce n’est pas un air espagnol que vous venez de chanter. Cela ressemble aux zorzicos que j’ai entendus dans les Provinces[1], et les paroles doivent être en langue basque.

— Oui, répondit don José d’un air sombre. Il posa la mandoline à terre, et, les bras croisés, il se mit à contempler le feu qui s’éteignait, avec une singulière expression de tristesse. Éclairée par une lampe posée sur la petite table, sa figure, à la fois noble et farouche, me rappelait le Satan de Milton. Comme lui peut-être, mon compagnon songeait au séjour qu’il avait quitté, à l’exil qu’il avait encouru par une faute. J’essayai de ranimer la conversation, mais il ne répondit pas, absorbé qu’il était dans ses tristes

  1. Les provinces privilégiées, jouissant de fueros particuliers c’est-à-dire l’Alava, la Biscaïe, la Guipuzcoa, et une partie de la Navarre. Le basque est la langue du pays.