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pu penser à autre chose ; et en se rappelant cette aventure si simple, il paraissait aussi ému que si elle venait de lui arriver. Puis, tirant le bouquet de sa poche : « C’était un enfantillage de le garder, dit-il, peut-être même était-ce mal ; » et il l’a jeté au feu. Lorsque les pauvres fleurs eurent cessé de craquer et de flamber, il reprit avec plus de calme : « Je vous remercie de m’avoir demandé ce récit. C’est à vous que je dois de m’être séparé d’un souvenir qu’il ne me convenait guère de conserver. » — Mais il avait le cœur gros, et l’on voyait sans peine combien le sacrifice lui avait coûté. Quelle vie, mon Dieu ! que celle de ces pauvres prêtres ! Les pensées les plus innocentes, ils doivent se les interdire. Ils sont obligés de bannir de leur cœur tous ces sentiments qui font le bonheur des autres hommes… jusqu’aux souvenirs qui attachent à la vie. Les prêtres nous ressemblent à nous autres, pauvres femmes : tout sentiment vif est crime. Il n’y a de permis que de souffrir, encore pourvu qu’il n’y paraisse pas. Adieu, je me reproche ma curiosité comme une mauvaise action, mais c’est toi qui en es la cause.


(Nous omettons plusieurs lettres où il n’est plus question de l’abbé Aubain.)