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de la campagne me fait un bien infini. Je me porte à merveille, et quand je me regarde dans ma glace (quelle glace !), je ne me donnerais pas trente ans ; et puis, je me promène beaucoup. Hier, j’ai tant fait, que Henri est venu avec moi au bord de la mer. Pendant qu’il tirait des mouettes, j’ai lu le chant des pirates dans le Giaour. Sur la grève, devant une mer houleuse, ces beaux vers semblent encore plus beaux. Notre mer ne vaut pas celle de Grèce, mais elle a sa poésie comme toutes les mers. Sais-tu ce qui me frappe dans lord Byron ? c’est qu’il voit et qu’il comprend la nature. Il ne parle pas de la mer pour avoir mangé du turbot et des huîtres. Il a navigué ; il a vu des tempêtes. Toutes ses descriptions sont des daguerréotypes. Pour nos poëtes, la rime d’abord, puis le bon sens, s’il y a place dans le vers. Pendant que je me promenais, lisant, regardant et admirant, l’abbé Aubain — je ne sais si je t’ai parlé de mon abbé, c’est le curé de mon village — est venu me joindre. C’est un jeune prêtre qui me revient assez. Il a de l’instruction et sait « parler des choses avec les honnêtes gens. » D’ailleurs, à ses grands yeux noirs et à sa mine pâle et mélancolique, je vois bien qu’il a une histoire intéressante, et je prétends me la faire raconter. Nous avons causé mer, poésie ; et, ce qui te surprendra