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plète. Je n’ai d’autres visiteurs, grâce à Dieu, que mon curé, l’abbé Aubain. C’est un jeune homme fort doux bien qu’il ait des sourcils arqués et bien fournis, et de grands yeux noirs comme un traître de mélodrame. Dimanche dernier, il nous a fait un sermon, pas trop mal pour un sermon de province, et qui venait comme de cire : « Que le malheur était un bienfait de la Providence pour épurer nos âmes. » Soit ! À ce compte, nous devons des remercîments à cet honnête agent de change qui a voulu nous épurer en nous emportant notre fortune. Adieu, ma chère amie. Mon piano arrive avec force caisses. Je vais voir à faire ranger tout cela.

P. S. Je rouvre ma lettre pour te remercier de ton envoi. Tout cela est trop beau, beaucoup trop beau pour Noirmoutiers. La capote grise me plaît. J’ai reconnu ton goût. Je la mettrai dimanche pour la messe ; peut-être qu’il passera un commis voyageur pour l’admirer. Mais pour qui me prends-tu avec tes romans ? Je veux être, je suis une personne sérieuse. N’ai-je pas de bonnes raisons ? Je vais m’instruire. À mon retour à Paris, dans trois ans d’ici (j’aurai trente-trois ans, juste ciel !), je veux être une Philaminte. Au vrai, je ne sais que te demander en fait de livres. Que me conseilles-tu d’apprendre ? l’allemand ou le latin ? Ce serait bien