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la difficulté vaincue ! Le père de l’enfant prodigue a vaincu le diable et lui a retiré sa proie ; vous avez triomphé du mauvais naturel de Diamant à force de gimblettes. Madame de Piennes était fière d’avoir vaincu la perversité d’une courtisane, d’avoir détruit par son éloquence les barrières que vingt années de séduction avaient élevées autour d’une pauvre âme abandonnée. Et puis, peut-être encore, faut-il le dire ? à l’orgueil de cette victoire, au plaisir d’avoir fait une bonne action se mêlait ce sentiment de curiosité que mainte femme vertueuse éprouve à connaître une femme d’une autre espèce. Lorsqu’une cantatrice entre dans un salon, j’ai remarqué d’étranges regards tournés sur elle. Ce ne sont pas les hommes qui l’observent le plus. Vous-même, madame, l’autre soir, aux Français, ne regardiez-vous pas de toute votre lorgnette cette actrice des Variétés qu’on vous montra dans une loge ? Comment peut-on être Persan ? Combien de fois ne se fait-on pas des questions semblables ! Donc, madame, madame de Piennes pensait fort à mademoiselle Arsène Guillot, et se disait : Je la sauverai.

Elle lui envoya un prêtre, qui l’exhorta au repentir. Le repentir n’était pas difficile pour la pauvre Arsène, qui, sauf quelques heures de grosse joie, n’avait connu