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où j’en étais, et s’il voulait que je me remisse avec lui… Alors il m’a écrit… des choses qui m’ont fait bien de la peine… L’autre jour, quand je suis rentrée chez moi, j’ai laissé tomber un miroir qu’il m’avait donné, un miroir de Venise, comme il disait. Le miroir s’est cassé… Je me suis dit : Voilà le dernier coup !… C’est signe que tout est fini… Je n’avais plus rien de lui. J’avais mis les bijoux au mont-de-piété… Et puis, je me suis dit que si je me détruisais, ça lui ferait de la peine et que je me vengerais… La fenêtre était ouverte, et je me suis jetée.

— Mais, malheureuse que vous êtes, le motif était aussi frivole que l’action criminelle.

— À la bonne heure ; mais que voulez-vous ? Quand on a du chagrin, on ne réfléchit pas. C’est bien facile aux gens heureux de dire : Soyez raisonnable.

— Je le sais ; le malheur est mauvais conseiller. Cependant, même au milieu des plus douloureuses épreuves, il y a des choses qu’on ne doit point oublier. Je vous ai vue à Saint-Roch accomplir un acte de piété, il y a peu de temps. Vous avez le bonheur de croire. La religion, ma chère, aurait dû vous retenir au moment où vous alliez vous abandonner au désespoir. Votre vie, vous la tenez du bon Dieu. Elle ne vous appartient pas…