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terrogea l’homme qui suivait la bière. Celui-ci répondit qu’il était concierge d’une maison rue Louis-le-Grand ; qu’une de ses locataires était morte, une madame Guillot, n’ayant ni parents ni amis, rien qu’une fille, et que, par pure bonté d’âme, lui, concierge, allait à l’enterrement d’une personne qui ne lui était de rien. Aussitôt madame de Piennes se représenta que son inconnue était morte dans la misère, laissant une petite fille sans secours, et elle se promit d’envoyer aux renseignements un ecclésiastique qu’elle employait d’ordinaire pour ses bonnes œuvres.

Le surlendemain, une charrette en travers dans la rue arrêta sa voiture quelques instants, comme elle sortait de chez elle. En regardant par la portière d’un air distrait, elle aperçut rangée contre une borne la jeune fille qu’elle croyait morte. Elle la reconnut sans peine, quoique plus pâle, plus maigre que jamais, habillée de deuil, mais pauvrement, sans gants, sans chapeau. Son expression était étrange. Au lieu de son sourire habituel, elle avait tous les traits contractés ; ses grands yeux noirs étaient hagards ; elle les tournait vers madame de Piennes, mais sans la reconnaître, car elle ne voyait rien. Dans toute sa contenance se lisait non pas la douleur, mais une résolution furieuse. La charrette