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embarras, aveuglée et étourdie par le bruit de la crinoline et tout ce qui s’ensuit. Je courus à son secours, j’eus beaucoup de peine à l’aider efficacement, et alors seulement je reconnus la grande-duchesse. Le coup de vent lui a épargné quelques petites épigrammes. Elle a été, d’ailleurs, très-bonne princesse avec moi, m’a donné de très-bon thé et des cigarettes, car elle fume comme presque toutes les dames russes. Son fils, le duc de Leuchtenberg, est un très-beau garçon, ayant l’air d’un étudiant allemand. Il m’a paru, comme je vous l’ai dit, très-bon diable, aimable, un petit peu républicain et socialiste, nihiliste par-dessus le marché, comme le Bazarof de Tourguenief ; car les princes ne trouvent pas, dans ce temps-ci, que la République fasse des progrès assez rapides.

Adieu, chère amie ; répondez-moi ici, mais tout de suite. Je ne vous tiens pas quitte de ma nouvelle. Que dites-vous du spectacle des inondations ? vous l’avez eu dans toute son étendue. Je vous félicite de n’avoir pas été noyée. L’un de mes amis est resté deux jours sans trop manger, avec l’inquiétude de voir sa maison fondre sous lui comme un morceau de sucre. — Encore adieu.