Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

envolé ici, où le soleil a produit son effet ordinaire. Sur trois jours, j’en ai deux de bons ; le troisième même n’est pas très-mauvais, et c’est un étouffement doucereux qui n’est pas comparable à la sensation d’étranglement que me donne un hiver de Paris. Comment se peut-il qu’étant de l’humeur voyageuse que vous avez, de plus, ayant charge d’âmes, vous ne passiez pas vos hivers à Pise ou dans un endroit quelconque où se voit le grand arbitre des santés humaines, monseigneur le soleil ? Je crois que sans lui je serais depuis bien longtemps à quelques pieds sous terre. Tous mes contemporains s’empressent de me précéder. L’année passée a été rude pour un petit cercle de camarades. Il y a quelques années, nous dînions ensemble une fois par mois : je crois être à présent le seul survivant. C’est là le grave reproche que j’adresse au Grand Mécanicien. Pourquoi les hommes ne tombent-ils pas tous comme les feuilles en une saison ? Votre père Hyacinthe ne manquera pas là-dessus de me dire des bêtises : « Ô homme, qu’est-ce que dix ans, un siècle ! etc. » Qu’est-ce qu’est pour moi l’éternité ? Ce qui est important pour moi, c’est un petit nombre de