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point. Jusqu’à présent, ce qui paraît concluant, c’est : 1° que l’entrevue de Varsovie a été un fiasco complet ; 2° que l’Autriche se sent hors d’état d’attaquer, bien que son ennemi lui fasse assurément assez beau jeu. Tout se complique encore par la situation de l’Orient, Elle est telle, que notre ambassadeur à Constantinople croit que la vieille machine peut craquer de fond en comble au premier jour. Le sultan vend ses cachemires. Il ne sait s’il pourra s’acheter à dîner le mois prochain. Savez-vous quel a été le premier mot de l’empereur François-Joseph à l’empereur Alexandre : « Je vous apporte ma tête coupable ! » C’est la formule que dit un serf lorsqu’il s’approche de son maître et qu’il craint d’être battu. Il a dit cela en bon russe, car il sait toutes les langues. Sa bassesse ne lui a pas trop réussi : Alexandre a été d’une froideur désespérante, et, à son exemple, le prince régent de Prusse a pris des airs. Après le départ de l’empereur Alexandre, l’empereur d’Autriche est resté quatre heures seul à Varsovie, sans qu’aucun grand seigneur russe ou polonais soit venu lui faire la cour. Les vieux Russes triomphent de tout cela, car ils détestent les Autrichiens encore