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brièveté désespérante et d’une sécheresse à laquelle j’étais autrefois accoutumé de votre part, mais qui m’est maintenant plus pénible que vous ne sauriez croire. Écrivez-moi longuement et dites-moi bien des choses aimables. Qu’est-ce que votre maladie ? Avez-vous quelque contrariété ou des chagrins de cœur ? Il y a dans votre dernier billet quelques phrases mystérieuses comme toutes vos phrases qui sembleraient l’annoncer. Mais, entre nous, je ne crois pas que vous ayez encore la jouissance de ce viscère nommé cœur. Vous avez des peines de tête, des plaisirs de tête ; mais le viscère nommé cœur ne se développe que vers vingt-cinq ans, au 46e degré de latitude. Vous allez froncer vos beaux et noirs sourcils et vous direz : « L’insolent doute que j’aie un cœur ! » car c’est la grande prétention maintenant. Depuis que l’on a fait tant de romans et de poëmes passionnés ou soi-disant tels, toutes les femmes prétendent avoir un cœur. Attendez encore un peu. Quand vous aurez un cœur pour tout de bon, vous m’en direz des nouvelles. Vous regretterez ce bon temps où vous ne viviez que par la tête, et vous verrez que les maux que vous