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furieux contre vous. J’ai été dérangé au premier mot de ma lettre, et ce dérangement m’a empêché de vous écrire. Remerciez-en le bon Dieu, car aujourd’hui le temps est beau ; mon humeur s’est adoucie tellement, que je ne veux plus vous écrire que d’un style tout de miel et de sucre. Je ne vous querellerai donc pas sur vingt ou trente passages de votre dernière lettre qui m’ont fort choqué et que je veux bien oublier. Je vous pardonne, et cela avec d’autant plus de plaisir qu’en vérité, je crois que, malgré la colère, je vous aime mieux quand vous êtes boudeuse que dans une autre disposition d’esprit. Un passage de votre lettre m’a fait rire tout seul comme un bienheureux pendant dix minutes. Vous me dites short and sweet : Mon amour est promis, sans préparation, pour amener le gros coup de massue par quelques petites hostilités préalables. Vous dites que vous êtes engagée pour la vie, comme vous diriez : «  Je suis engagée pour la contredanse. » Fort bien. À ce qu’il paraît, j’ai bien employé mon temps à disputer avec vous sur l’amour, le mariage et le reste ; vous en êtes encore à croire ou à dire que, lorsqu’on vous dit : « Aimez monsieur, » on aime.