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montables entre les différentes classes de la société, afin qu’on ne puisse voir combien ce qui se passe au delà de la barrière ressemble à ce qui se passe en deçà. Je veux vous conter une histoire d’Opéra que j’ai apprise dans cette société si perverse. Dans une maison de la rue Saint-Honoré, il y avait une pauvre femme qui ne sortait jamais d’une petite chambre sous les toits, qu’elle louait moyennant 3 francs par mois. Elle avait une fille de douze ans toujours très-bien tenue, très-réservée et qui ne parlait à personne. Cette petite sortait trois fois la semaine dans l’après-midi, et rentrait seule à minuit. On sut qu’elle était figurante à l’Opéra. Un jour, elle descend chez le portier et demande une chandelle allumée. On la lui donne. La portière, surprise de ne pas la voir redescendre, monte à son grenier, trouve la femme morte sur son grabat, et la petite fille occupée à brûler une énorme quantité de lettres qu’elle tirait d’une fort grande malle. Elle dit : « Ma mère est morte cette nuit, et elle m’a chargée de brûler toutes ses lettres sans les lire. » Cette enfant n’a jamais su le véritable nom de sa mère ; elle se trouve maintenant absolument seule au monde, et n’ayant