Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxxii
PROSPER MÉRIMÉE

à l’écouter, que chacun aurait pu faire son livre. L’un est une anecdote qu’un de ses amis lui a contée et qu’il a aussitôt écrite. L’autre est « un extrait » de Brantôme et d’Aubigné. S’il a fait les Débuts d’un Aventurier, c’est qu’étant au frais, malgré lui, pendant quinze jours, il n’avait rien de mieux à faire. Pour écrire la Guzla, la recette est simple : se procurer une statistique de l’Illyrie, le voyage de l’abbé Fortis, apprendre cinq ou six mots de slave. Ce parti pris de ne pas se surfaire va jusqu’à l’affectation. Il a si grand’peur de paraître pédant, qu’il fuit jusque dans l’autre extrême, le ton dégagé, le sans façon de l’homme du monde. Peut-être un jour sera-ce là son endroit vulnérable ; on se demandera si cette ironie perpétuelle n’est pas voulue, s’il a raison de plaisanter au plus fort de la tragédie, s’il ne se montre pas insensible par crainte du ridicule, si son ton aisé n’est pas l’effet de la contrainte, si le gentleman en lui n’a pas fait tort à l’auteur, s’il aimait assez son art. Plus d’une fois, notamment dans la Vénus d’Ille,