Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

danger, mais où j’ai pu voir toutes les horreurs de ce temps et de ce pays-ci. Au milieu de la douleur que j’éprouve, je sens par-dessus tout la bêtise de cette nation. Elle est sans égale. Je ne sais s’il sera jamais possible de la détourner de la barbarie sauvage où elle a tant de propension à se vautrer. J’espère que votre frère va bien. Je ne pense pas que sa légion ait été sérieusement engagée. Mais nous sommes bien accablés de fatigue et nous n’avons pas dormi depuis quatre jours. Croyez peu à tout ce que disent les journaux sur les morts, les destructions, etc. J’ai parcouru avant-hier la rue Saint-Antoine : les vitres étaient brisées par le canon et beaucoup de devantures de boutiques endommagées ; d’ailleurs, le ravage n’était pas si grand que je l’avais supposé et qu’on le disait. Voici ce que j’ai vu de plus curieux. Je me hâte de vous le dire pour aller me coucher : 1o  La prison de la Force est demeurée plusieurs heures gardée par la garde nationale et entourée d’insurgés. Ils ont dit à la garde nationale : « Ne tirez pas sur nous et nous ne tirerons pas. Gardez les prisonniers. » 2o  Je suis entré dans une maison qui fait le coin de la