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LXXIV

Jeudi soir, 28 juillet 1843.

J’ai lu votre lettre (je parle de la première) une vingtaine de fois au moins depuis que je l’ai reçue, et, chaque fois, elle m’a fait éprouver une impression nouvelle et en général fort triste, mais jamais elle ne m’a mis en colère. J’ai cherché très-inutilement à y répondre. J’ai pris très-inutilement un grand nombre de partis, et je reste ce soir aussi incertain et aussi triste que la première fois. Vous avez assez bien deviné mes pensées, peut-être pas entièrement. Vous ne pourriez jamais les deviner toutes. J’en change d’ailleurs si souvent, que ce qui est vrai dans un moment cesse de l’être quelque moments après. Vous avez tort de vous accuser. Vous n’avez, je pense, pas d’autre reproche à vous faire que ceux que je me fais. Nous nous laissons rêver sans vouloir être éveillés. Peut-être sommes-nous trop vieux pour rêver ainsi de propos délibéré. Pour ma