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de demandes d’audience, d’avertissements, de suggestions, de conseils… Les autres journaux reprenaient mon papier, épousaient ma thèse, l’agrémentaient de commentaires et de paradoxes. L’idée du « Savant inconnu » se fixait dans tous les cerveaux. Le Président du Conseil demanda à me voir et m’interrogea longuement, sans que je pusse faire autre chose que lui répéter ce que j’avais résumé dans le journal. Et comme le muflisme ne perd jamais ses droits, de grands confrères me firent signe discrètement. Mais je tenais au Vespéral où j’avais débuté et où, d’ailleurs, mes appointements furent immédiatement doublés.

Je goûtais les joies de la célébrité. Des caricaturistes me représentèrent, un arc en mains, perçant de flèches une sorte d’animal difforme et confus qui symbolisait l’Être mystérieux, aux pieds duquel gisaient des coffres-forts éventrés et des cadavres de prêtres. Et, pour que rien ne manquât à mon bonheur, Juliette paraissait m’adorer. Elle venait maintenant deux jours par semaine, régulièrement, passer la soirée avec moi ; absente, elle jouait du téléphone à toute occasion. Elle tenait à se montrer à mon bras, avec un orgueil naïf, dans tous les lieux publics où mon apparition soulevait des murmures de curiosité. Heures inappréciables de joies sans mélange ! Je m’endormais dans une béatitude ensoleillée, sans autre pensée que de m’y couler, de m’y vautrer. Je ne songeais pas une minute que le réveil pouvait venir, terrible.

Un matin, d’un geste fatigué, j’éparpillais ma correspondance sur ma table de travail. Elle était, d’ordinaire, fastidieuse, totalement dépourvue d’intérêt. Je