Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment, dans une sorte de mélancolie noire, dédaigneux de toutes joies, fuyant les camarades, insensible à tout ce qui n’était pas ma souffrance. Véritablement, je souffrais. J’étais torturé par ce sentiment indéfinissable qu’on appelait alors la jalousie. Eh ! oui ! on était jaloux aux environs de l’année 1935, ce qui signifie qu’on était incapable de supporter sans rage ni douleur la pensée que la femme aimée pouvait passer dans les bras d’un autre — un rival, disait-on — et lui prodiguer les mêmes ardeurs. Sentiment redoutable et complexe, né lointainement de l’instinct de propriété et d’autorité qui aboutissait aux vertiges de la folie et du crime. On perçoit, aujourd’hui, très péniblement les manifestations de cette passion malsaine et qu’elle pût exercer, dans les cœurs, de tels ravages.

L’homme considérait la femme comme sa chose.

Elle était à lui de la tête aux pieds, et jusque dans les recoins les plus cachés de son âme. Il épiait sa pensée et se penchait sur ses rêves. Il la suppliciait atrocement, s’installant en dominateur dans ses plus hermétiques souvenirs et ses plus fugaces tentations. Et la femme, plus perspicace encore, le lui rendait avec usure.

Un soir, je m’étais précipité comme un dément à travers la file des véhicules, fendant la foule comme un bolide parce que j’avais cru la reconnaître, Elle, sur le trottoir d’en face, donnant le bras, nonchalamment, à un jeune homme imberbe et ravi qui lui parlait, tout doucement, à l’oreille. Juliette ! Juliette ! Mon amour m’avait-il rendu clairvoyant ou n’étais-je que la victime d’une hallucinante idée fixe ? Sur le trottoir, je