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me presser, à pas menus, je m’orientai vers la rue Bataille où je savais trouver la banque.

Peu à peu, cependant, les bruits de la rue et le soleil s’en mêlant, ma mauvaise humeur se dissipait. Après tout, si je ratais ma soirée, j’obtenais en échange un bon petit « hors rubrique ». Ici, il faut que j’explique rapidement ce qu’étaient les journaux en l’an de grâce 1935.

En très peu de temps, sous l’influence des méthodes et des goûts américains, la presse française, renonçant à de vieilles et chères coutumes, avait radicalement supprimé tout ce qui apparaissait comme superflu, je veux dire tout ce qui de près ou de loin touchait à la littérature. On ne se préoccupait plus du style. On négligeait la forme pour ne surveiller que les formes et leur descente vertigineuse. L’art du journaliste consistait à cueillir au vol le moindre fait, à le condenser en quelques lignes, à l’orner, au besoin, d’une manchette significative. Le tout agrémenté de photographies et de croquis. Chaque feuille était divisée en huit ou neuf colonnes qui correspondaient à autant de rubriques. Si l’on veut un exemple prenons la rubrique : Suicides (21 avril 1935). On y lisait :


Une jeune fille de dix-sept ans, blonde, désespérée, se jette à la Seine. Amour. Amour.

Le nommé Jean Siroce, employé de banque, se loge une balle dans la tempe. Motif ignoré.

Adélaïde Blanchard, concierge, cinquante ans, malade, se pend avec son cordon de sonnette. Détachée à temps et conduite à l’hôpital.