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déchirant qui pénétra jusque dans mes moelles, comme une morsure d’acier…

— Juliette !…

Un flot vivant nous sépara, la rejeta en arrière. Je la vis qui se débattait. Elle surnagea un instant, le visage tourné vers moi. Puis elle disparut, accablée par la masse mouvante. Et moi-même, catapulté contre la devanture d’une boutique, écrasé, haletant, je m’accrochai désespérément pour ne pas perdre connaissance.



Qu’ai-je fait pendant ces sinistres journées ? J’errai partout, à travers les bagarres, enjambant les cadavres. Des avions culbutaient dans le ciel où jaillissaient des grappes de feu. L’Élysée brûlait. Le Louvre brûlait. Les Grands Magasins étaient en flammes. Autour des Halles, un vide énorme, béant. On disait que des centaines d’insurgés venaient d’être pris par les gaz asphyxiants. Et, par-dessus toutes ces rumeurs, ces fauves incendies, cette inondation furieuse de haines écumantes, la voix du canon qui ne cessait de tonner, du canon qui se soulageait comme une légion de pétomanes.

Mais voici, dans ce babélisme infernal, les événements tels que je les ai notés au fur et à mesure qu’ils me parvenaient, commentés, déformés par des bouches avides. D’abord la fuite du Gouvernement régulier, non pas vaincu, mais intimidé devant la responsabilité d’une répression sans exemple. Des proclamations sur les murs annonçaient son départ pour Bordeaux. Il