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solution de la Chambre et exigeaient un chef. Chaque fois que la plèbe a peur, elle réclame un sauveur, un Dieu. D’autres, cependant, parlaient de hisser les travailleurs au pouvoir. Les faubourgs se fleurirent de clubs où des orateurs tonitruaient, dénonçant l’iniquité sociale, la malfaisance et l’indignité du régime. Le Gouvernement fit donner la troupe. Le Palais-Bourbon, les Ministères, les Banques, l’Élysée furent gardés par l’artillerie. Des mitrailleuses s’installèrent sur les édifices publics. Mais la foule était trop bien partie. Il y eut, un peu partout, de formidables échauffourées. On se battait sauvagement. Sur certains points, les soldats surexcités lâchèrent pied, passèrent du côté de l’émeute. Puis des troupeaux armés, disciplinés, survinrent, et la vraie bataille, sans issue, dans un pêle-mêle indescriptible, s’engagea, férocement.

Là-dessus, la Confédération Unitaire du Travail décréta la grève générale. Le mot d’ordre fut d’autant plus rigoureusement accepté que les ouvriers désertaient les usines, d’eux-mêmes, que les employeurs affolés se barricadaient derrière leurs portes. La nuit venue, le courant électrique interrompu, Paris plongea dans les ténèbres. Et la bataille continua. J’ai exploré les rues, cette nuit-là ; je n’ai rencontré que des êtres livides de peur qui tentaient de s’éclairer à l’aide de bougies et de lanternes, des ombres bondissantes rasant les murs ; puis la débandade des fuyards, les meutes apeurées, saoules d’alcool, saoules de terreur… Et partout des cadavres, des éclopés ; des misérables geignant et suppliant… Cela sans but précis, sans volonté nette. Tous ces malheureux désaxés se jetaient aux abîmes.