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notre vaine science n’a pu encore éclairer ? La terre a surgi de toi ! Ô Bête baveuse ! Mère ! Sempiternelle matrice ! comme un abcès purulent répandant à travers les siècles la sanie végétale et l’ichor animal. Nous sommes tes fils dissipés, aventureux et repentants. Nous sommes faits de ton sang et de ton écume. Mais nul n’a pu dire le secret, l’impénétrable secret que tu recèles, jalousement…

Maintenant, les vagues cognent à mes pieds, prises d’un délire sacré. Elles se heurtent à l’impassibilité morne des roches qui, depuis des siècles, opposent leur ironie massive à la lascivité des eaux comme à leurs bacchanales. La mer est une femelle. La mer a des abandons d’amante lasse et heureuse et, quand le rut la travaille, des emportements fougueux. Elle mord, elle hurle, elle sanglote. Elle vomit de l’épouvante. Elle crève en borborygmes. Toute sa frénésie s’éteint, impuissante, aux pieds du colosse dédaigneux.

Ce soir, la bagarre est affreuse. Des spectres s’affrontent dans le ciel où la ligne mince de l’horizon s’efface dans la grisaille. Mon cœur tape à coups rapides dans ma poitrine et s’accorde au rythme fou des vagues bondissantes. Le vent du large me souffle son haleine sauvage, distend mes narines comme des vulves, élargit mon cerveau. Heure trouble où la lumière vivante cède aux saturnales de l’ombre ! Mais, est-il utile de multiplier les impressions fugaces et biscornues que provoque, en mon esprit empoisonné de poésie et de pittoresque, le spectacle quotidien d’un peu d’eau, de beaucoup d’eau, si vous voulez, s’opiniâtrant niaisement contre des masses de granit insensible !