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resque. Aucune affinité réelle entre ces deux types d’animaux. Cela suffisait déjà pour me rendre perplexe. Malgré tout j’ai tenu à expérimenter. Je me suis embarqué pour l’Afrique (j’ai beaucoup voyagé) et je me suis livré à la chasse aux grands singes. C’est ainsi que j’ai appris à les connaître.

Il médite quelques secondes.

— Le singe, continue-t-il, est bien l’animal le plus doux, le plus paisible de la création, j’ai presque envie de dire le plus humain. C’est à peine s’il se défend et il semble qu’il ne comprenne pas la noire méchanceté de l’homme. On le traque, on le pourchasse à travers les forêts africaines où sa race s’épuise peu à peu. Ce pauvre être offre si peu de danger que des femmes, de faibles femmes, vous m’entendez, peuvent impunément, à l’abri de tout péril, se livrer sur ces bêtes cruelles à une chasse sans gloire. Un jour il m’arriva de tirer sur un grand gorille qui, debout, appuyé sur un énorme bâton, l’air d’un vieux philosophe battu, me regardait avec pitié. Je tirai et il tomba. Et alors, — j’en pleurerais aujourd’hui encore — me penchant sur l’animal sanglant, je vis qu’il me regardait de ses yeux grands ouverts où se lisait un reproche. Il y avait tant d’étonnement candide et de douleur dans ces yeux que la mort voilait déjà que je tombais à genoux, me courbant sur la blessure, cherchant le cœur… Soudain, la pauvre bête laissa échapper une longue plainte, une plainte d’homme, je le jure moi qui l’ai recueillie ; tout son corps se tordit, il expira et l’on me retrouva sanglotant auprès du cadavre de celui que je venais d’assassiner.