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Et je reçois, en pleine poitrine, cette question imprévue qui me secoue tout entier :

— Êtes-vous avec nous ou contre nous ?

J’entrouvre les lèvres. Pas un mot ne sort, tant est prodigieuse ma stupéfaction. Ah ça ! est-ce que je suis obligé de choisir ? Est-ce que je sais seulement, est-ce que je puis savoir ce que je veux ?

— Je dois vous aviser, poursuit Ugolin, qu’il n’y a pas de neutralité possible. De la bagarre qui va s’engager dépend le sort de l’Humanité. Tout ce qui ne sera pas avec nous sera contre nous. Répondez.

C’est la deuxième invitation. Il faut que je réponde. Et je réponds. Et j’assure qu’il n’y a eu chez moi ni lâcheté, ni peur, ni hypocrisie. Comment cela s’est-il fait ? Comment ai-je pu me décider aussi brusquement ? Quelle est la force irrésistible, l’élan impétueux qui m’ont dressé tout à coup avec une froide résolution ? De quelle volonté occulte sommes-nous les jouets et qui donc, à notre insu, décide de nous ? Voici, oui, voici ce qu’avec un calme effrayant, dans des termes habillant étroitement ma pensée, très claire et formelle, j’ai jeté à la face d’Ugolin :

— Je ne vois pas exactement ce que vous voulez et où vous allez ; vous m’effrayez et vous m’attirez à la fois. Mais j’estime que l’aventure en vaut la peine. Ma décision est prise. Je suis avec vous.

Silence profond. Ugolin a légèrement cligné des yeux. L’homme des Martigues se gratte la barbe. L’Allemand demeure impassible et le long Ciron hoche la tête d’un mouvement lent dont je ne saisis pas s’il est approbateur ou s’il exprime quelque méfiance.