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laient du dehors et du dedans. Nous avons réduit ou supprimé les organes inutiles ou dangereux qui l’encombraient. Nous avons jeté dans les veines, dans le sang, dans la moelle, de la jeunesse et du printemps, à pleines mains. Les renouveaux se sont succédé triomphalement. Malgré tout, la machine se rouille, peu à peu ; il y a des rouages que nous suivons mal et qui se refusent à l’obéissance. Le corps humain est une machine délicate et compliquée où tout est réglé, minutieusement, où tout se combine et s’harmonise sous la direction des forces supérieures ; mais il suffit d’un rien, un choc ici, un vide ailleurs, une cellule participant à la vie commune qui reconquiert son indépendance et le sublime mécanisme est enrayé…

Il baisse instinctivement la voix :

— Le Maître, voici deux mois déjà, je l’ai ramassé sur un tapis, écroulé, victime d’une syncope. Cet accident imprévu, souvenez-vous, révolutionnait tout le monde. Je lui injectai du « soléol » liquide et je le vis sortir de son évanouissement, les yeux pleins d’hébétude, les traits du visage atrocement crispés… Je me suis courbé, haletant, sur ce revenant. Et, dois-je vous le dire, il m’a semblé, brusquement, retrouver le petit vieux que nous avons connu au siècle dernier… Hein ! vous le voyez d’ici, monsieur le journaliste, ce petit vieux dont le cerveau géant recélait tout le génie et toute la démence… C’est lui que j’ai tenu sous mon regard. Oh ! pas longtemps : quelques secondes… une éternité… Il portait sur sa face douloureuse le masque de l’antique vieillesse…

Néer se croise les bras et, sardonique, me jette :

— Que pensez-vous de cela ? Faut-il tenir compte, oui ou non, de l’avertissement ?