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Néer m’interrompt d’un haussement d’épaules.

— Chaque expérience, dites-vous. Mais, malheureux, c’est là, justement, ce qui m’inquiète. N’observez-vous pas, comme moi, que les opérations, espacées dans les débuts, se font, par la force des choses, plus fréquentes ? Les plus vieux jeunes sont condamnés à se renouveler beaucoup plus souvent… Ils fournissent une course de plus en plus brève. Un quart de siècle d’existence supplémentaire, en pleine forme, nous était assuré, au commencement. Êtes-vous certain, maintenant, de tenir, ce qui s’appelle tenir, avec vos facultés intactes, sans fatigue, sans dépression ?… D’où viennent vos anxiétés, vos doutes, vos retours vers le passé ?… Savez-vous à quoi je pense, parfois ?… Je me demande si nous n’avons pas reculé les limites de la vieillesse… reculé pour mieux sauter.

Il fait un geste, l’index pointé vers mon front, comme pour y clouer sa pensée.

— Après tout, ce serait déjà un résultat. L’animal humain vivait, naguère, à peu près une soixantaine d’années. C’était alors une moyenne honorable. Grâce à Ugolin, au terrible Ugolin, au divin Ugolin, il peut vivre, désormais, quelque chose comme deux siècles. Mais le problème n’est pas résolu. La mort est toujours au bout.

Un frisson me parcourt. La mort… la dispersion de notre intelligence… l’éparpillement de notre conscience… notre moi crevant comme une bulle d’eau sale, éjaculé dans le néant… Mourir… Je ne vois pas comment on peut mourir… Il y a deux jours, dans le jardin, j’ai écrasé, du talon, une chenille… Mais une chenille n’est qu’une moisissure sur l’herbe. Les cellules qui la composent iront s’agglomérer ailleurs, re-