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dents, les accusations proférées contre les francs-maçons, contre les juifs, contre l’Allemand, s’évaporaient, balayées par un vent d’angoisse qui courbait tous les fronts, glaçait tous les cœurs.

C’est alors que je trouvai le mot, le qualificatif qui devait rester, l’épithète sanglante collée au monstre. « Les dévore-t-il ? » demandait-on ? Je répondis : Oui ! et je criai : Ugolin !

Ugolin !… Ugolin !… ces trois syllabes se répercutèrent à travers la France, franchirent les frontières. Ô Dante ! ô poète ! Le tyran de Pise, l’affamé de Gualandi qui mange ses enfants pour leur conserver un père, émergeait de la légende, se dressait, sinistre et ricanant, sur le monde terrifié… Oui, c’était bien cela. Le Savant inconnu, Ugolin, plongé dans d’affreuses et ignobles recherches, les manches retroussées sur des bras velus, fouillant les chairs torturées de son scalpel implacable. Ugolin ! Ugolin ! Buveur d’existences ! Broyeur de vies humaines ! Une feuille satirique voulut le représenter sous des traits hideux, la bouche fendue par un rictus sardonique, les yeux plissés d’atroce jubilation, accroupi sur un amas de débris d’os et de chairs, se prélassant sur des tas sanglants de tibias, de fémurs, de boyaux fumants… Horrible dessin tout bariolé de rouge éclatant. La censure intervint, fit saisir la feuille, interdit qu’on ajoutât encore à l’épouvante générale.

Ah ! il n’était plus question de manifestations et d’émeutes. Les partis politiques se réconciliaient dans la peur. Paris entier, et derrière lui la province, vivaient dans une sorte de hantise noire, dans la crainte