Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vais-je explorer mes notes, mes pauvres, mes antiques notes ? Toute ma vie ! Toutes mes vies !

Non ! Je laisserai ces choses. J’ouvre ma fenêtre. Je baigne mon front brûlant dans l’air frais. À mes yeux se révèle le paysage printanier du grand jardin peuplé de bruits, saupoudré de fine lumière. Il s’étire comme une femme pâmée. Les allées, toutes droites, s’enfuient dans la profondeur des feuillages naissants. Des formes ailées se taquinent. Tout un peuple inconnu s’agite. Un sang ardent et chaud va circuler dans les artères de ce vieux globe pourri, lancé comme une épave dans l’immensité désolée… Ah ! le secret ! le secret ! Qui nous dira l’énigme de la Vie, à nous qui nous en sommes rendus les maîtres ?

Tout, autour de moi, atteste le miracle de la résurrection. Du linceul de l’hiver s’élance la force nouvelle qui fendille le sol, fait craquer les bourgeons, fournit l’essor aux insectes. Ce mouvement, je le sens en moi, à chacun de mes printemps. Le phénomène est identique dans la vie de l’être et dans la vie du monde. Les énergies éparses se rejoignent que nous avons su capter et diriger à notre gré, nous qui muselons le froid et la vieillesse ; nous qui pouvons, à notre heure, créer ou féconder ; nous les rapetasseurs et fabricants de vieux neuf, qui tenons, dans nos pattes crochues, l’ombre et la lumière, la vie et la mort…

Et je me laisserai envahir par des appréhensions sournoises ? Je céderai à la crise qui menace après tant d’autres ? Non. Ugolin ne se trompe point. Son regard pénétrant, à l’éclat insoutenable, s’est posé sur l’univers. Il a sondé les abîmes. Ugolin voit. Ugolin ne faillit pas. Ugolin est toujours le Maître !