(tous n’ont pas disparu et quelques-uns, je le répète, seraient marris de se voir ainsi ressusciter), il n’y avait pas que des faiseurs et des combineurs. Ce monde-là était évidemment très mélangé, et la misère coudoyait la canaillerie. Mais cela conservait, malgré tout, je ne sais quelle candeur. Les plus fieffés coquins étaient de grands innocents.
Et puis, il y avait tous ceux qui crevaient simplement de faim et s’avouaient incapables de se défendre. Ils erraient, lamentables, traînant leurs semelles trouées de la rue de Buci au Luxembourg, semblables à des chiens battus, n’ayant qu’une idée : manger. Je ne charge nullement le tableau. Et je songe à ce pauvre diable de J… (mort sans doute depuis). Celui-là s’en allait, claudicant, hâve, jamais débarbouillé. Il logeait chez une invraisemblable Gothon qui avait des bontés pour lui. Et voici comment il se procurait sa pâture.
Nonchalamment, il se glissait vers la devanture d’un épicier et là, comme s’il s’agissait d’une bonne petite plaisanterie, plongeait sa main dans un sac, en retirait une pomme de terre qu’il faisait sauter joyeusement en l’air, rattrapait dans sa paume, relançait comme une balle… Naturellement, l’épicier s’imaginait avoir affaire à un farceur et ne s’indignait point pour une malheureuse pomme de terre. Mais au coin de la rue, J… glissait la chose dans sa poche.
Après quoi, il recommençait le tour un peu plus loin. Puis, en possession d’une douzaine de ces précieux légumes, il rejoignait son home où la maritorne