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manteau. Notez que quelques-uns commettaient le vol, poussés non pas par le souci de gagner honorablement leur journée, mais par le besoin irrésistible de lire. La tentation était trop forte, et comment résister au désir de se monter une bibliothèque à peu de frais ?

Il y en eut qui trinquèrent sérieusement. Les galeries subirent une épuration sensationnelle. Et ce furent les Béotiens, c’est-à-dire ceux qui faisaient commerce des livres dérobés, qui donnèrent l’éveil. L’un d’entre eux, le nommé D…, était passé maître dans le métier. Il usait de maints stratagèmes. Pour dissimuler ses larcins, il n’avait trouvé rien de mieux que de découdre ses poches, à l’intérieur. Le volume s’engouffrait dans la doublure du pardessus. Ni vu ni connu. Il lui arriva d’être surpris. On tâtait ses poches. Lui le prenait de très haut, menaçait de porter plainte. Finalement, comme on ne sentait rien dans les poches, on se voyait obligé de le lâcher.

Sa superbe devait lui jouer un mauvais tour. Il avait trop confiance en lui. Il faut dire aussi qu’il portait beau, arborant crânement une jaquette et un haut de forme sur la tête. Il n’était point dépourvu, quoique formidablement ignorant, d’une éloquence zézayante. Avec ça, des ruses d’apache. Il avait organisé une petite troupe dont il était le chef et il opérait de la façon suivante : à cinq ou six, ses hommes se rangeaient devant l’étalage, coude contre coude, et tout en ayant l’air de ne point se connaître. Ainsi comme le roi Jean le Bon, ils se gardaient à droite et se gardaient à gauche, et cela de telle sorte que