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de souvenirs. On se montrait le tonneau où Verlaine, accablé, s’était assoupi. Et l’on saluait de vivats le lamentable Bibi-la-Purée qui venait de cirer les chaussures de quelque étudiant cossu et nous demandait si nous n’avions pas de parapluie à vendre.

Dans ce taudis, l’absinthe coulait à flots. Nombreux, cependant, étaient ceux qui l’absorbaient sans le moindre plaisir, mais parce que c’était le genre. Il fallait bien entrer dans la carrière, après les aînés. Par malheur, certains en prirent la douce habitude et cela les conduisit, assez rapidement, à la plus irrémédiable des déchéances.

Mais, demandera-t-on, de quoi et comment vivaient tous ces charmants paladins de la bohème — le dernier carré ? Ici je touche un point scabreux de mon histoire. Il faut qu’on sache qu’il y avait un peu de tout dans la bande joyeuse et minable : des chenapans authentiques, de braves garçons dévoyés, quelques indicateurs de police, des gars de province pourvus de mensualités, d’autres qui travaillaient par-ci, par-là. Et aussi, des partisans déterminés de la reprise individuelle.

La majorité, pourtant, se composait de bons jeunes hommes dont les uns étaient, momentanément, brouillés avec leur famille ; dont les autres prenaient régulièrement leurs repas chez leurs parents, couchaient chez eux, mais avaient réussi à lasser la sollicitude paternelle. Ces derniers cherchaient non leur « croûte », mais les deux sous de tabac quotidiens et le café-crème à dix centimes qui leur permettait