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Il y eut une rumeur dans la salle, des yeux menaçants. Mais Goldberg, tel Antée, avait reconquis ses forces en épousant le pavé. Il se releva avec le sourire, prit place à une table bien sagement. On ne l’entendit plus de la soirée.

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Dans l’après-midi, le Petit Bar était désert. L’hiver, on se réfugiait à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Pendant les beaux jours, on se donnait rendez-vous au Luxembourg.

Toute une allée du Luxembourg nous appartenait en propre. C’était celle qui longe le kiosque à musique parallèlement au boulevard Saint-Michel. Là sous la fraîcheur des arbres, des groupes s’improvisaient sur les bancs, disputant, se lançant à la tête des vers de Rimbaud, de Laforgue, de Verhaeren… C’était un charivari de tous les diables qui faisait fuir l’honnête passant égaré dans ces parages.

Quelques-uns s’installaient sur des chaises qu’ils refusaient obstinément de payer. C’était alors des luttes homériques avec la brave dame qu’on appelait la « mère Ticket ». Elle invitait doucereusement le client à verser son obole. Le client lui riait au nez. La dame tempêtait, se répandait en injures. Puis, elle réclamait l’intervention du garde. Mais quand le garde surgissait, le client avait disparu.

Très souvent, des bandes descendaient de Montmartre. Le chahut atteignait, ces jours-là, au scandale. La mère Ticket se voyait bafouée et les gardes