à boire). Il s’était laissé envahir par la crasse et, l’alcool aidant, se répandait en larmes sur toutes les tables. Triste déchéance d’un homme, point encore vieux, et qui avait donné de superbes espoirs.
Un soir donc, Mécislas Goldberg nous arriva complètement « retourné ». Il commença à discourir à tort et à travers, allant d’un groupe à l’autre. Mais ces messieurs les souteneurs le supportaient avec impatience. Ils jouaient à la manille et prétendaient avoir la paix.
Soudain, Goldberg grimpa sur une table et se mit à vociférer des choses incohérentes. Avec le ton des prophètes, il stigmatisait la société, l’humanité, le monde et les dieux. La salive glissait au coin de ses lèvres et de sa bouche grimaçante roulait un torrent d’éloquence pâteuse. Cela dura près d’une heure. Au début, on riait. À la fin, le prophète nous tapait sur les nerfs.
Et ce fut, brusquement, le bouquet. Dressé sur la pointe des pieds, l’index tendu vers nous, Mécislas hurlait :
— L’humanité me dégoûte !… Je vomis sur l’humanité !
Et le malheureux, dans un hoquet, fit exactement comme il disait. Alors, un de ces messieurs les manilleurs, vaguement éclaboussé, se leva, saisit Goldberg, et, d’une poussée, l’envoya rouler sur le trottoir. C’était la deuxième ou troisième fois que pareille mésaventure lui arrivait.