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Mais cela ne lui donnait pas à manger. Par bonheur, un de ses admirateurs, fort riche, lui vint en aide. Il décida de lui payer sa chambre, sa pension, plus un pernod, chaque soir (mais pas un de plus) et deux demis après dîner. Cela dura quelques années. Poussin se laissait vivoter tout doucement et il trouvait toujours quelques bonnes âmes, pour ajouter à sa ration apéritive. Le mastroquet, lui-même, se laissait quelquefois séduire et portait les pernods supplémentaires sur la note. Ces jours-là, le bienfaiteur tempêtait, menaçait de couper les vivres, puis s’exécutait.

Mais Poussin buvait trop. Le bienfaiteur se lassa. Le poète roula jusqu’à l’hôpital, où il mourut, à peu près seul, abandonné de tous, après d’horribles souffrances. Pauvre diable lunatique ! Pauvre épave ! Mais le père Jacquemin, lui, quand il avait pour la cinquantième fois, achevé l’histoire, la triste histoire du poète des Versiculets, s’écriait de sa voix claironnante :

— Mort au champ d’honneur !

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Qu’a-t-il bien pu devenir, le vieux, par la suite ? De loin en loin, on le donnait pour mort ; puis il reparaissait soudain. On le fêtait. Et lui, tout ragaillardi, de nous ressortir ses histoires :

— Ce soir-là, Richepin me prit par le bras et me glissa à l’oreille : « Je donnerais bien cent sous à celui qui consentirait à me prêter vingt francs… »