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La petite bohême


I


Aux environs de 1900-1904 — ce n’est pas d’hier — nous étions quelques jeunes gens qui, sur la foi des aînés et pour nous être saoulés du mauvais vin romantique, nous obstinions à vivre ce que nous appelions la « vie de bohème ». Nous aurions pu nous en dispenser et poursuivre une existence sinon brillante, du moins paisible et exempte de heurts. Mais l’ombre de Verlaine flottait encore sur le boulevard Saint-Michel et de vieux débris aussi authentiques que sordides des fêtes de « jadis et de naguère » magnifiaient leur passé fangeux et vide. Ils évoquaient Charles Cros, poète et génial inventeur ; Rimbaud, enfant terrible ; Richepin, Touranien splendide à la barbe flamboyante et, surtout, le pauvre Lélian, le nez dans son absinthe.

Je venais de déserter les hauteurs montmartroises et, comme tant d’autres, je plantai ma tente en plein quartier Buci — la Bustoc, comme l’on disait alors C’était le carrefour où se rejoignaient rapins dans la débine, poètes faméliques, étudiants en médecine qui ne mettaient jamais les pieds à l’École, philosophes