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devant les délégués sénatoriaux. On avait dit à mon père : « N’y allez pas… Ça ne servira à rien ! » Il s’y rendit tout de même. Et, à peine entré, il comprit. La salle était composée uniquement d’agents bourgeois et des délégués dont Clemenceau était sûr.

Mon père dut prendre la parole devant cet auditoire… éclectique. Chose assez singulière, et qui prouve bien que la sincérité et l’honnêteté reconnues en imposent toujours, il put s’exprimer dans le silence. Et, cependant, avec quelle véhémence il attaqua Clemenceau et sa politique, rappelant comment, grâce à lui, le Var en avait fait un sénateur. Pas une protestation. Pas un murmure. On l’écoutait dans une sorte de stupeur.

À un moment, faisant justice des insinuations colportées dans le département depuis trois semaines, il s’écria, désignant Clemenceau du doigt :

— Cet homme me doit son siège. Sans moi, vous n’auriez pas ici un président du Conseil… Eh bien ! moi, je ne lui dois rien. Je ne lui ai jamais rien demandé et je le défie d’établir le contraire.

Pendant ce temps, Clemenceau bondissait sur sa chaise.

Mon père se tourna alors vers ceux qui l’écoutaient :

— Y a-t-il, ici, un seul homme qui puisse en dire autant ?

Silence glacial. Clemenceau se trémoussait de plus belle. Mais il se taisait.

Le résultat, cependant, était connu d’avance. La liste Clemenceau fut élue. Quand tout fut terminé,